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Financement participatif : et si on arrêtait de diviser ?

En lisant plusieurs posts sur les réseaux sociaux ces derniers temps, j’ai eu le sentiment que certaines personnes aimeraient que le financement participatif soit réservé aux auteur·ices autoédité·es (et interdit aux maisons d’édition). Et franchement, en tant qu’autrice et éditrice, ça me pose problème.

Peut-être que je me trompe. Mais à force d’opposer “auteur·ice solo” et “éditeur·ice”, on finit par oublier la diversité du paysage éditorial : des micro-structures sans trésorerie, des collectifs associatifs, des projets ambitieux mais précaires… Est-ce qu’on doit vraiment tracer une ligne morale entre le “bon” et le “mauvais” usage du financement participatif ? Ou ne serait-il pas plus juste de regarder au cas par cas : l’intention, la transparence, les moyens ?

D’où vient cette idée, au fond ?

Je comprends ce réflexe de vouloir réserver le financement participatif aux auteur·ices autoédité·es. On a tous en tête cette image : un écrivain seul, sans maison derrière, qui trouve grâce à Ulule, KissKissBankBank ou Kickstarter un moyen de faire naître son livre avec le soutien de ses lecteur·ices. Dans ce cas, c’est clair : le financement participatif devient un levier formidable pour contourner les blocages de l’édition traditionnelle.

À l’opposé, on imagine l’éditeur·ice comme une structure censée “faire banque” : avancer les coûts, prendre des risques, produire, diffuser. Si une maison lance une campagne, ça peut être vu comme un aveu de faiblesse, voire comme une trahison de son rôle.

Et forcément, les tensions montent quand des maisons bien établies (parfois même des filiales de grands groupes) débarquent sur ces plateformes. Là, on a l’impression qu’un outil pensé pour soutenir les projets fragiles est détourné pour faire du marketing ou pré-vendre des livres qui seraient sortis de toute façon.

Derrière, il y a cette volonté de protéger un espace perçu comme “alternatif”, une bulle pour celles et ceux qui n’ont pas accès aux circuits classiques. Mais cette vision, aussi séduisante soit-elle, oublie une chose essentielle : toutes les maisons d’édition ne jouent pas dans la même cour.

Pourquoi vouloir interdire est problématique

Interdire aux maisons d’édition d’avoir recours au financement participatif, c’est créer une frontière artificielle, qui ne reflète pas la réalité du terrain. Parce que non, toutes les maisons ne sont pas Gallimard, Bragelonne ou Hachette. Il y a un monde entre un mastodonte qui imprime par milliers et une petite structure associative qui doit jongler avec ses frais d’impression. Pourtant, juridiquement, ce sont toutes des “maisons d’édition”.

Pour une petite structure, une campagne de financement participatif n’est pas un luxe : c’est souvent une question de survie. Elle permet de sécuriser un tirage, de tester l’intérêt du public, d’éviter de se retrouver avec des cartons d’invendus. Et surtout, elle crée du lien avec les lecteur·ices. On fédère une communauté autour du projet, bien avant sa sortie.

Et pourtant, les idées reçues continuent de circuler. On entend que si une maison lance une campagne, c’est pour “gagner plus”, que ce n’est pas une “vraie” maison, ou encore que c’est du “compte d’auteur déguisé”.

Petit rappel : une campagne ne fait pas forcément exploser les profits. Dans la majorité des cas, elle sert à couvrir les frais de fabrication, d’impression, parfois de diffusion. Parfois, l’auteur·ice et l’éditeur·ice gagnent autant (voire moins) qu’avec un tirage classique. Mais au moins, ils évitent un déficit. Et si bénéfice il y a, il sert souvent à financer des bonus : impression plus soignée, marque-pages, illustrations…

Et non, ce n’est pas du compte d’auteur. Le compte d’auteur, c’est quand l’écrivain·e paie pour être publié·e. Ici, ce sont les lecteur·ices qui choisissent de soutenir un projet et reçoivent en échange un livre, souvent avec des petits plus. On est dans une logique différente : transparente, participative, communautaire.

Alors oui, voir une grosse maison utiliser le financement participatif pour pré-vendre le dernier tome d’une saga déjà distribuée partout, ça peut déranger. Mais le souci n’est pas la présence des éditeurs sur ces plateformes : c’est le déséquilibre des moyens et le manque de transparence, surtout quand la campagne n’est qu’un levier marketing.

En résumé

Le financement participatif n’est pas l’ennemi de l’édition. Ce n’est pas le fait qu’un·e éditeur·ice y ait recours qui pose problème, mais comment et pourquoi elle ou il le fait.

Au lieu de tracer une ligne rouge entre “autoédition légitime” et “édition interdite”, il vaudrait mieux s’interroger sur l’intention derrière chaque campagne. Est-ce qu’elle sert à faire émerger un projet fragile ? À créer une vraie dynamique avec les lecteur·ice·s ? Ou est-ce juste une stratégie pour booster les ventes d’un produit déjà rentable ?

La frontière ne se situe pas entre auteur·ice et éditeur·ice, mais entre les démarches sincères et celles qui sont opportunistes. Une petite maison qui veut sécuriser un album jeunesse, ce n’est pas la même chose qu’un géant qui vient écouler sa dernière licence sur une plateforme.

Au final, le financement participatif ne devrait être interdit à personne. C’est aux lecteur·ices de choisir à qui ils veulent faire confiance. La liberté de soutenir un projet, c’est le cœur du système. Et ce qui mérite vraiment d’être protégé, ce n’est pas une catégorie d’auteur·ices ou d’éditeur·ices — c’est le choix des lecteur·ices.

 

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